Déroulé du Projet

Séance 1 : Dessin de lettres

Travail à partir de l'alphabet latin.
Expérimenter l'écriture à travers des outils inédits (pinceaux, calames, fusains...), libérer celle-ci des contraintes scolaires de régularité et de lisibilité.
Se concentrer sur l'aspect formel des lettres, envisager l'écriture comme un dessin, prendre conscience de son tracé et de son rythme (le ductus).
 
En guise d'exemple, le travail du graphiste américain Ed Fella (né en 1938), virtuose de la typographie et expérimentateur prolifique :  







Séance 2 : Logogrammes

Dans cette deuxième séance, nous mettrons à profit les expérimentations formelles de la séance précédente à travers la création d'un logogramme.

Un logogramme est un caractère d'écriture qui vaut pour un mot entier. Dans notre système d'écriture alphabétique, il est nécessaire d'assembler plusieurs caractères/lettres, afin de composer des mots qui désigneront une réalité "extérieure" : objet, être, sensation, etc. Dans les systèmes d'écriture logographiques (par exemple les hiéroglyphes égyptiens, ou les idéogrammes chinois), chaque caractère peut désigner à lui seul un élément de cette réalité (cela induit l'existence d'un nombre de caractères bien plus important que celui de nos 26 lettres de l'alphabet).

Dans ce projet, nous utiliserons le terme logogramme de manière assez large, pour désigner une composition typographique (réalisée à partir de caractères d'écriture) que l'on pourra appréhender selon 2 niveaux de lecture : tout d'abord en tant qu'image (lecture tabulaire, vision d'ensemble), puis ensuite comme un texte, que l'on pourra peu à peu déchiffrer/déployer par l'exercice de la lecture linéaire (dans laquelle les éléments doivent être considérés les uns à la suite des autres pour être compris).

Chaque élève créera son propre logogramme, et pourra choisir entre 2 manières différentes de procéder :

> Dans le premier cas, on travaillera à partir de lettres existantes (lettres d'un mot entier ou de plusieurs mots, abréviation, acronyme...), que l'on combinera de manière à former un logogramme.
Les lettres perdront alors de leur lisibilité immédiate au profit d'un dessin d'ensemble, composite, que le lecteur pourra déchiffrer peu à peu.

Voici quelques exemples que l'on commentera ensemble :
   


Augusto de Campos, Código, 1973





Anna D'Alessandro, Composition typographique en hommage au célèbre graphiste Paul Rand, qui joue habilement sur l'effet de symétrie entre le nom et le prénom de celui-ci.
“Código” a la forme d’un labyrinthe dans lequel on lit toutes les lettres du mot et aussi d’autres mots formés avec ces lettres – par exemple: “digo” (“je dis”) et l’élément “co-“ (soit : “nous disons ensemble”), et aussi bien, au centre du poème, le palindrome en anglais “god/dog”.

D’un côté, il s’agirait d’un idéogramme qui représenterait une totalité, suggérée aussi par la forme d’un globe; d’un autre côté, le poème a à voir avec les rapports que la poésie concrète entretenait avec le design, et il pourrait être lu comme un logotype.

[source : Júlio Castañon Guimarães, Centre d'étude de l'écriture et de l'image]
   
 


Signature de l'empereur Charlemagne, ce monogramme contient toutes les lettres du nom Karolus. Sa lecture se fait de branche en branche (gauche-haut-bas-droite), en repassant chaque fois par le centre, qui condense toutes les voyelles.
 



Le chrisme est un symbole chrétien, un monogramme formé des lettres grecques Χ (khi) et Ρ (rhô), les deux premières lettres du mot ΧΡΙΣΤΟΣ (Khristós : «Christ»). Le chrisme renvoie également au motif de la croix de la crucifixion. On y adjoint fréquemment l'alpha et l'oméga (la première et de la dernière lettre de l'alphabet grec), Dieu étant symboliquement "le commencement et la fin".
 


Raban Maur, Liber de laudibus Sanctae Crucis (livre des louanges de la Sainte Croix), rédigé en 810

On peut distinguer, dans cette composition, 4 niveaux de lecture :
> en fond de page, écrit en noir, un pavé de texte rédigé en latin et composé suivant une stricte grille rectangulaire (par convention, les espaces entre les mots ne sont pas figurés)
> les lettres rouges écrites "par-dessus" ce pavé de texte (caractères grecs)
> le symbole du chrisme, dessiné par la disposition des lettres rouges
> enfin, l'intersection entre chaque lettre rouge et pavé de texte sous-jacent, qui redécoupe des termes latins dans le texte du fond
 

Livre de Kells, Folio 34r, page d’ouverture de l’Évangile selon Matthieu (dite page du Chi Rho Iota), circa 800, Irlande

Cette enluminure figure les trois premières lettres du terme grec Khristós.
Le foisonnement ornemental est d'une telle densité que le texte en devient presque illisible.
 


Jan van den Velde (maître écrivain flamand), Vive la plume, vers 1610
 


Calligraphie en style kufique géométrique, panneau mural en céramique, grande mosquée d'Ispahan, Iran.
 

La première sourate du Coran, Al-Fatiha, prend ici la forme du mot Allah.
Relevé d'un panneau mural (?) de la Mosquée Amir Chakhmaq à Yazd, Iran.
 


Tania Mouraud, I have a dream (existe en version anglaise, arabe et chinoise), 2004, Impression sur papier, 400x300 cm, collée sur panneau d'affichage.
 

Lina Abdul Hadi, Police de caractère modulaire KUFIN, 2011
Lina Abdul Hadi a transposé dans l'alphabet latin la stylisation labyrinthique du style kufi géométrique. Selon le mot, les caractères s'adaptent les uns aux autres, s'interpénétrant pour former des blocs unifiés.
"The name Kufin is an amalgamation of ‘Kufi’ and ‘Latin’ script, which is in essence exactly what the typeface is."
[source1] [source2]
 


Christian Dotremont, C'est du calme que la plupart ont peur (à gauche) et deux autres Logogrammes
L'écriture latine est ici passée au crible d'une gestualité et d'un travail du pinceau inspirés par les calligraphies chinoise et japonaise.
     


Henri Matisse, lithographie d'ouverture de la série Jazz, 1947

 

Au cours d'un atelier que j'avais précédemment animé, Mayssa (10ans) avait
créé ce texte crypté, où plusieurs lettres d'un même mot se chevauchent et/ou
s'emboîtent. Il faut lire : "Mayssa fait ses devoirs".
 
 
> Dans le second cas, on s'inspirera de la manière dont se sont formés les caractères chinois. Il ne s'agira pas de "singer" l'écriture chinoise, mais d'observer comment les sinogrammes ont évolué et se sont constitués au fil du temps, et de mettre en œuvre, de manière créative/imaginative, des mécanismes équivalents.

On retiendra 2 "principes" (que l'on expliquera à l'aide des images ci-après) :
> Les caractères simples sont une représentation stylisée de la chose qu'ils désignent
> Les caractères simples peuvent se combiner pour former des caractères complexes

Les élèves réaliseront d'abord des dessins qu'ils styliseront ensuite jusqu'à les rendre difficilement reconnaissables. Puis ils combineront plusieurs de ces représentations stylisées pour former un caractère complexe. Bien sûr, la signification de ce caractère complexe sera le résultat de la combinaison des différents caractères simples qui le composent.




Évolution de certains caractères simples, de puis l'écriture "ossécaille" jusqu'à l'écriture contemporaine.
 

[Source : Bibliothèque Nationale de France - L'aventure des écritures]
 



Le caractère le plus complexe encore employé est probablement "biáng", avec 57 traits, qui désigne une sorte de nouilles traditionnelles (nouilles Biáng Biáng) de la province du Shaanxi. Cependant, ce caractère ne se trouve pas dans les dictionnaires. Bien que le résultat soit visuellement complexe, la composition est tout à fait régulière.
[Source : Wikipédia - Une description précise de ce caractère est également consultable sur cette même page]

   



Chaque logogramme (qu'il soit composé selon la première ou la deuxième méthode) sera accompagné d'une notice, sorte de petite fiction rédigée par l'élève qui expliquera succinctement l'histoire, l'évolution ou le mode de constitution de ce logogramme.
(L'histoire de ce logogramme pourra s'inscrire dans le cadre plus vaste d'un univers imaginaire ou d'un système d'écriture fictif inventé par l'élève - qu'il pourra également décrire dans la notice).

L'ensemble des logogrammes créés par les élèves, accompagnés de leurs "notices", sera compilé sous la forme d'un recueil imprimé en noir et blanc.