TABLEAUX D’UNE EXPOSITION

En 1874, après une visite de l'exposition rétrospective de son ami le peintre Viktor Hartmann, décédé un an auparavant, Modest Moussorgski compose sesTableaux d'une exposition. Directement inspirées par les œuvres d'Hartmann, il s'agit de dix pièces pour piano, chacune évoquant un tableau différent, entrecoupées de six Promenades qui traduisent la déambulation du spectateur dans l'espace d'exposition. En 1922, Maurice Ravel réalise une orchestration symphonique de l’œuvre qui deviendra très populaire. Dans son adaptation, Ravel a supprimé la sixième Promenade, réduisant ainsi le nombre de pièces à quinze.

Hormis la version proposée par Ravel, la pièce a connu une riche postérité : elle a donné lieu à de nombreuses adaptations musicales ainsi qu'à plusieurs interprétations visuelles, parmi lesquelles figurent celles de Wassily Kandinsky avec ses "tableaux mobiles" (1928), et d'Osamu Tezuka, qui en tira un film d'animation éponyme (1966). On le voit, l'œuvre originelle n'a cessé de se poursuivre à travers une grande diversité de déplacements et de traductions.

En 2023, j'ai été invité par l'Orchestre d'Harmonie du Pays de Gex à réaliser un accompagnement visuel pour deux représentations des Tableaux. A cette occasion j'ai conçu une suite de décors numériques animés qui défilaient sur un écran au-dessus de l'orchestre, où j'étais présent parmi les musiciens.

Il s'agissait donc de proposer une composition visuelle en réaction à des pièces musicales dont on peut penser que l'écriture fut, au moins en partie, elle-même déterminée par des impressions visuelles. Plutôt que de chercher à illustrer de manière synchrone la musique, j'ai envisagé mon intervention comme étant celle d'un instrument supplémentaire, un interprète visuel qui jouerait, en fond, sa propre partition. Je n'ai pas cherché à traduire la musique en images : j'ai plutôt choisi d’élaborer une suite de tableaux temporels qui puisse accompagner son déroulement, un support visuel propice à l'écoute, entre papier peint et écran de veille.

J'ai conçu quatorze décors : un pour chaque pièce, à l'exception d'un décor commun pour les pièces Catacombae et Cum mortuis... Pour chacun de ces tableaux animés, je me suis basé, sans pour autant leur être strictement fidèle, sur le tempérament musical de la pièce, sur le titre et les indications données par Moussorgski en ouverture de la partition, ainsi que sur la peinture originelle réalisée par Hartmann (lorsque celle-ci nous est parvenue). En utilisant des registres d’images très différents, j'ai souhaité proposer des tableaux aux identités visuelles aussi variées que les musiques écrites par Moussorsgki, diversité encore intensifiée par l’orchestration de Ravel.

Concrètement, chaque décor est une page écrite au format HTML, lue sur un navigateur internet depuis un ordinateur, et vidéoprojetée sur un écran. Chaque page est construite à partir d'un "répertoire" comprenant, selon le cas, d'une dizaine à une centaine d'images fixes ou animées. Pour créer ces répertoires d'images j'ai utilisé à plusieurs reprises la génération d'image par algorithme (souvent qualifiée d'"intelligence artificielle").

D'autre part, dans la moitié des cas, la composition de la page est générée aléatoirement au moment de son ouverture. Chaque rafraîchissement de la page entraîne l'apparition d'une version légèrement différente, ce qui permet d'obtenir une version unique pour chaque soir de concert. Ce principe d'élaboration aléatoire, suivant une structure et un répertoire d'éléments préétablis, s’inscrit en écho de l'interprétation musicale qui varie légèrement, à partir d'une même partition, lors de chaque représentation.
 
 
LISTE DES PIECES
10 mouvements et 5 interludes :

Promenade
1. Gnomus
Promenade
2. Il Vecchio Castello
Promenade
3. Tuileries. Disputes d’enfants après jeux
4. Bydło (Le vieux chariot)
Promenade
5. Ballet des poussins dans leurs coques
6. Samuel Goldenberg et Schmuyle
7. Limoges – Le Marché
8. Catacombae – Sepulchrum romanum
Cum mortuis in lingua mortua (Promenade)
9. La Cabane sur des pattes de poule (Baba-Yaga)
10. La Grande Porte de Kiev